Fermons la parenthese
Jérôme Bergami, 17 mai, 2015
Marcher en partageant la terre en signe de paix et de respect,
marcher en avançant le mot turc " kardeslik" - fraternité - pour être sur de bien se faire comprendre, ne signifie pas que nous soyons à chaque instant et avec chacun le mieux aimable, le mieux souriant du monde. La température du coeur connaît des variations qui sont fonctions et du moment et de l'attitude des bonshommes que nous rencontrons. Il est dans la faculté des gentils idéalistes de se recouvrir brutalement d'épines de hérisson. Certains Turcs hâbleurs, pesamment donneurs de leçons, particulièrement cranes, tactiles mais grossièrement, plus pour s'imposer que pour sympathiser, ont le don de m'irriter. C'est alors qu'il est important de montrer à son interlocuteur que l'on n'est ni de sucre ou de porcelaine, ni benêt, naïf ou timoré. Idéaliste, oui ; de mauvaise humeur et rugueux, aussi.
C'est comme toujours, et la marche n'y change rien :
le dos qui courbe, on l'écrase, le front qui tient, on le respecte. Marcheurs, le besoin est réel d'ouvrir au cours d'une journée une parenthèse de calme. Un havre sans Turc aucun à l'intérieur, même le plus serviable, même le plus délicat. Un temps rien qu'à soi ou l'obligation "fraternelle" de décliner dans la bonne humeur : identité, situation professionnelle et familiale, projet actuel, cesse. Il y aurait péril à marcher sans se soucier de se préserver.
Une marche sans parenthèse aboutirait au crime
- non prémédité, cela va de soi. A un moment, un type poserait une question, aurait une réflexion, un geste, un rire, une inflexion dans la voix, n'importe, il ferait ou aurait quelque chose de trop à notre goût, et alors d'un coup, d'un sang! on lui écraserait la théière sur la gueule. On y serait dans une rage telle qu'on lui écraserait à lui imprimer la gueule dans le zinc du soba. Tout ça pour n'avoir pas su ou pu se nicher de temps en temps hors du Turc...
Ce serait quand même dommage d'en arriver à cette extremité - après deux, trois ou quatre mille kilomètres à pince, et tant de joies et tant de peines, crac! un mort sur le dos. Nous, Iéalistes, ne voulons prendre la vie de personne. Mais vous, farauds, matamors et autres madrés du plateau anatolien, faites quand même gaffe à nos épines.