Le clapotis des tongues

Le clapotis des tongues

Jérôme Bergami, 22 août, 2014

Paralia-Vrasna. Retour a la mer, les arpions dans le sable chaud. Elle remonte notre dernière baignade, c'était en Italie, il y a plus d'un mois et demi. A quel point le corps a besoin du délassement aquatique, ce n'est qu'en plongeant dans l'eau que l'on en prend conscience. Logique : comment un organisme constitué à 70% d'eau pourrait-il sans conséquences se priver du contact régulier d'avec son élément premier? La terre, certes, mais la terre sans eau, qu'est-elle? Autant aurions-nous pu emporter avec nous, dans une gourde, de l'eau de toutes les mers du monde. Et l'échanger, pour un message identique à celui que nous transmettons par le biais de la terre. Eh! Je tiens peut-être là l'idée d'une prochaine action: après la Terre en Marche, la Mer à Pédalo. Nous longerons la côte depuis la Terre de Feu jusqu'aux iles Aléoutiennes. Périple insensé!
De quelles matières suis-je donc né pour que mon être n'ait toujours aspiré qu'aux grandes envolées, passionnées dans l'amour, lyriques dans l'écriture, enfiévrées dans l'action ? Je ne conçois que de vivre entier. Que de vie romanesque.Suite à la Terre, suite à la Mer, il est écrit que nous monterons tous les deux au ciel cueillir des étoiles. « Paix et respect entre tous les organismes vivants, connus et inconnus! » clamerons-nous de nos hauteurs inaccessibles. « Ecologie dans toutes les galaxies! », « Spiritualité dans tout l'Univers! »

Paralia-Vrasna, donc. Le tourisme est ici familial et balkanique : Serbes, Macédoniens, Bulgares forment le gros des troupes; auxquels s'agrègent Tchèques, Slovaques, Slovènes. Préciser que les Allemands sont loin d'être absents ne vaut que par souci d'exhaustivité car l'information sonne comme une tautologie : il n'est pas de lieu en Europe sans Allemands et partout où vous irez, de Gibraltar à ConstanÅ£a, de Palerme à Stockholm, de Brest à Tallinn, de Dublin à Alexandroupoli, partout ou vous irez l'Allemand sera.Sur la plage, le travailleur est en sandales et exotique. Africains et Indiens transportent sur leur dos des cavernes d'Ali Baba made in China, Bangladesh et Turquie. Du pistolet à eau au sac a main Lancel, de la clef de douze au maillot de bain. Image classique du déracinement par la détresse économique, du nomadisme par la pauvreté; ou comment l'économie moderne créer le migrant perpétuel, le sempiternel promené. « Le juif errant est arrive » titrait Albert Londres l'un de ses ouvrages. Rien n'est moins sûr que les générations futures, de quelque continent qu'elles soient, connaissent un jour cette joie.

La mer, elle, s'offre chaude et doucement ourlée par une légère brise. Nulle hôtellerie clinquante à son chevet, mais de gentils pavillons. Nul club d'animation au tintamarre techno le long de la petite route qui la borde, mais sous le ciel immaculé, le clapotis des tongues, le conciliabule feutré des poussettes et des mamans. Vraiment, la station balnéaire de Paralia Vrasna est aussi modeste que sa quiétude est grande. Le camping — plutôt un vaste jardin — n'a pas d'enseigne, ni même de nom. Le propriétaire n'en a pas jugé la pose utile, on est ici en famille.
La mer est au bout de l'allée.