Les vieux
Jérôme Bergami, 26 juill, 2014
Ils sont assis près des fontaines, aux terrasses des cafés, sur les bancs, à l'ombre d'un pin, d'un parasol ou d'un kiosque ; ils portent un feutre ou une casquette, parfois de grosses lunettes ; gris, beiges ou marron sont leur chemise, leur pull-over, leur gilet, leur veste ; ils s'appuient sur une canne, égrènent un chapelet, ils boitent un peu, les vieux.
Et assis autour d'un raki, d'un café, d'une partie de baggemon ou de dominos, de quoi parlent-ils, eux qui ont tous vécu sous la dictature, eux qui l'ont subie ou bien encouragée, eux anciens proscrits ou anciens membres du parti : eux pour qui Enver Hoxha n'est pas qu'un simple nom. Un nom dénué de toute réalité, comme il peut l'être pour la nouvelle génération... Hoxha... un nouveau dentifrice?... une nouvelle poudre à laver?...La nouvelle génération ? Elle danse du ventre, le soir, dans les boites matraquées de techno-décibels ; elle a raccourci la jupe et ouvert le décolleté ; elle est partie travailler a l'étranger, elle lustre sa belle auto allemande, elle est colorée dans ses baskets, anglicisée dans ses tee-shirts. Alors vous savez, Hoxha…
Il arrive que le fossé se comble entre les âges : cela se passe fortuitement près d'une fontaine, à l'ombre d'un pin, sur un banc où se tiennent côte à côte un vieillard, un adolescent, un bambin gitan. C'est leur regard qui fait le lien, un regard perdu dans le lointain: un regard d'absent.