Ciao la Riviera
Jérôme Bergami, 05 juill, 2014
Que d'aventures depuis le jour où nous avons quitté Ferrugio, le garde forestier de la pinède. La Riviera italienne fut bien longue à traverser. Un écœurement de crêpes, de gaufres, de beignets, d'hôtels, de transats, le plus souvent sous un soleil de plomb. Mais le marcheur fend la foule des vacanciers, harnaché comme un baudet, sans se soucier des corps huilés, des peaux fripées, et autres épidermes en soif de s'aérer. Le marcheur traque l'ombre comme le pisteur cheyenne piste le buffle.
Mais nous ne devons pas taire ce terrible soir d'orage, quand le ciel a craqué sur Riccione, peu après d'ailleurs le tonnerre multicolore d'un feu d'artifice qui avait illuminé la ville et qui aurait dû être interprété comme un signe annonciateur. La veille, dans un camping de Rimini, nous avions rencontré un pèlerin, un garçon de Brescia, qui nous disait le plaisir qu'il avait, en ces jours de grosse chaleur, de cheminer la nuit le long du littoral. Il démarrait aux alentours de vingt-deux heures et s'arrêtait sur les coups de deux, trois heures du matin pour piquer un somme sur l'un des transats qui bordent les plages privées. L'idée nous a semblé excellente et nous avons décidé de la tester le lendemain soir. Malheur à nous ! C'est ce soir-là précisément que l'orage a choisi pour éclater. Un feu du tonnerre, un ciel électrique, d'abord en mer, puis sur la terre, des zébrures magnifiques — nous nous étions emmitouflés dans nos sacs de couchage depuis cinq minutes. Le vent s'est levé. Une première goutte est tombée. On a tout remballé en quelques secondes pour se réfugier sous un barnum. Là, des seaux d'eau se sont abattus sur la plage. Las, nous nous sommes recouchés dans nos sacs, à quelques mètres du barnum, sur un bout de terrain qui ne prenait pas l'eau. La nuit fut courte et menaçante. C'est l'employé du club qui nous a réveillés à cinq heures et demie — il s'apprêtait à remettre les lieux en état.
Nous sommes repartis, direction Pesaro, après avoir pris un petit déjeuner dans le premier café que nous avons trouvé. Il y a eu aussi des jours de repos, comme ces deux journées passées dans le parc naturel de San Bartolo. Sabina ne pouvait plus marcher ce jour-là (qui a suivi la nuit d'orage). Elle souffrait depuis plusieurs jours d'une ampoule qui s'était infectée. Un marcheur sans pied est un marcheur à jeter ! Le camping Panorama nous a accueillis, avec son calme, sa délicieuse odeur de pin, de figue et de fenouil et ses touristes amoureux de la nature.
Pour le pied de Sabina, ces deux jours n'ont pas suffi. Une fois à Pesaro, un pharmacien lui a appliqué de la pommade antibiotique et conseillé de reposer ses orteils. Nous avons malgré tout poursuivi, nous disant qu'Ancône n'était plus qu'à trois jours de marche maximum et qu'une fois chez sa cousine, elle pourrait soigner correctement son ampoule. De Pesaro, nous avons rejoint la station balnéaire de Fano — très énervés par la faim, la fatigue et Sabina, en sus, par sa douleur. La Terre en Marche connaîtra d'autres engueulades, qu'il faudra à chaque fois surmonter : où planter la tente pour la nuit reste l'objectif premier vers lequel toute l'énergie doit converger dans ces cas-là.
On dit en France que « les routiers sont sympas ». Cette expression doit s'appliquer en Italie aux cantonniers. Pour la deuxième fois, c'est un employé de la commune (comme l'était le garde forestier) qui nous ouvre les bras ce soir-là. Nous nous installons dans son jardin et lui de nous inviter à partager la pizza avec sa femme et leur enfant. Un couple très gentil, Stefano et Martina. Ils occupent l'une de ces maisons que nous avons par maintes fois croisées le long de la Via Adriatica (la voie rapide qui longe la Mer Adriatique), elles sont estampillées du sigle « A.N.A.S »sur la façade et sont réservées aux agents communaux. Pizza, donc, melon et pastèque au menu, le tout arrosé d'un bon coup de Limoncello, voilà de quoi assurer un bon sommeil.
Nous voulions parvenir ensemble à Ancône, mais Sabina n'avançait plus, la douleur se faisait trop intense. Nous étions encore à quarante-cinq kilomètres de notre point d'arrivée. La Terre en Marche a décidé de se scinder en deux : Sabina prendrait le train pour rejoindre sa cousine et moi, je continuerais seul et tenterais d'atteindre Ancône le lendemain, histoire de fêter mon anniversaire en famille.Ce fut chose faite. Mes quarante ans à venir m'ont donné des ailes. J'ai marché d'un pas radieux, sous une chaleur torride. Un type m'a hélé : « Eh ! C'est le marathon du désert, ce que tu fais ? » J'en avais tout l'air, en sueur sous ma casquette à voilette, la pompe à eau au niveau du menton, homme sandwich coincé entre deux sacs à dos. Le soir, j'apercevais le port d'Ancône se profiler à l'horizon. J'ai planté ma tente dans un endroit tranquille le long de la route et le lendemain matin, j'arrivais à la gare en chantant.
Nous voilà désormais à Osimo, une vieille cité d'une richesse architecturale surprenante, églises, palais, jardins, l'ensemble perché sur une hauteur abrupte d'où l'on embrasse jusqu'à très loin tout un pays de cultures et de bourgs fortifiés. Le bateau pour Durrës nous attend le 09 juillet. J'ai hâte de fouler le sol d'Albanie, tant j'ai gardé un bon souvenir de ce pays, dans lequel je me suis rendu en hiver 2006. Nous avons rendez-vous à Tirana, pour célébrer le premier partage de la Terre avec des enfants provenant de différents pays d'Europe.