Des fauves de lenteur
Jérôme Bergami, 31 juill, 2014
S'il n'y avait qu'une chose dont se saisir, alors ce serait la douceur de cet éveil au bord du lac de Kastoria.
La nature, avec le monde animé dont elle palpite, a vraiment les tendresses d'une Mère lorsqu'au sortir du sommeil elle ramène l'homme au vivant, lui prodiguant ses plus délicats attouchements : parfums frais, miroitements, clapotis et bruissements, cigales et pépiements.
Les sens frissonnent d'un frisson de grande paix et, intérieurement, l'homme remercie.Ici et maintenant, le regard se pose sur l'écorce, la main sur le brin d'herbe. Ici et maintenant tout respire. Les sens eux-mêmes sont respiration.
Respirer est l'action, et la seule, à laquelle tout l'être consent. Action non-violente, action d'harmonie, elle dissout la durée, vide de sa substance l'écoulement du temps.
« Madame la tortue, voulez-vous que je vous aide? » Au début, je m'enquérais poliment. Mais la tortue est craintive, à la moindre question rentre tête et pattes, se retire sous sa carapace. De réponse n'ai jamais obtenu. Cependant, le cœur du marcheur ne saurait rester insensible au spectacle des bloubiboulgas qui parsèment l'asphalte des routes de campagne. En ces temps de moteurs et de « merde, on va être en retard ! », la lenteur ne présente pas que des vertus. Aussi l'aide a la tortue fait-elle partie des multiples missions que tout marcheur intègre se doit de remplir. Désormais, lorsque j'en aperçois une égarée au milieu de la chaussée, bravant, l'intrépide! les flots immobiles d'une mer asphaltée, je ne lui demande plus son avis : je m'en saisi et la fais traverser.
La tortue et nous, quand on se croise, c'est immédiat, on se reconnait. Nous partageons le même idéal.
Nous sommes de la même espèce: des fauves de lenteur.