Bretelles contre Croquenots
Jérôme Bergami, 14 août, 2014
Entrée en Thessalonique. Combat!
... Combat entre la Ville et l'homme à pied. Une lutte sans merci s'établit. Lequel des deux protagonistes cèdera? Le Marcheur refuse de reculer, il est déterminé à atteindre le cœur, à toucher le sein de la tentacule urbaine. Cette dernière, allergique à l'idéal de cet animal non motorisé, à son utopie, contre-attaque à coups de ponts, de bretelles, d'embranchements, d'autoroutes. Seulement elle a face à elle un adversaire redoutable d'obstination, un fanatique de l'orteil en compote: un insoumis. Le règne de la Ville, il marchera dessus.
Il est très instructif d'aborder pédestrement les villes par leurs périphéries, zones d'usines et d'entrepôts, de hangars tristes, de terrains vagues, de casses-autos, no man's land où s'entassent foultitude de peuplades non-biodégradables : Bouteilles, Cartons, Canettes, Plastique, Pneus, Matelas. Il est bon de les voir, de les renifler, de les réfléchir : pourquoi abandonnons-nous tant de détritus derrière nous? Remontant les faubourgs de Thessalonique, nous nous demandons où est passé l'argent.
L'argent de l'Europe, depuis trente ans ! Qu'en ont fait les puissants, ceux qui tiennent les rênes, pour que le pays ait conservé cet aspect rouille et négligé?
Ce ne sont pas les gestes charitables qui manquent à notre encontre, ça non, là-dessus, y a rien a dire, on ne peut pas se plaindre. Le café nous est souvent offert, et des fruits, des légumes, parfois des sandwichs avec un soda; hier, on a même eu le droit à une canette de bière avec des toasts à l'œuf et au fromage. Il y a aussi ce vieux bonhomme qui s'est stationné près de notre tente, il a ouvert son coffre de voiture et nous a tendu un sac plein de tomates, de pêches et de figues. Il est revenu dix minutes plus tard, a fouillé dans sa boite a gant et m'a mis dans la main l'un de ces chapelets aux boules colorées que les anciens égrènent à la terrasse des cafés. Nous inspirons, c'est a croire, que voulez-vous : de la ferveur par notre action; de la pitié par nos tronches décomposées de fin de journée lorsque nous abordons les villages tout fondus dans nos croquenots et comme évaporés dans nos bermudas.