Comme pailles au vent

Comme pailles au vent

Jérôme Bergami, 28 Iul, 2014

Un pace (prononcez patché), on en a mangé un à Bilisht, sur les coups de 16h, fameux : tête de veau en petits morceaux dans une sauce à l'ail. On a ensuite trouve refuge dans l'enceinte de la station d'épuration d'eau de la ville. Dusim, le gardien, nous à volontiers proposé de planter notre tente sur le gazon, près du local dans lequel il passe ses nuits depuis trente-six ans — un petit lit, deux plaques électriques, un vieux poste téleviseur, une table, son raki et ses cigarettes roulées. Fut un temps où, en plus de cet emploi, il vendait boissons et viandes grillées à la frontière (qui n'est qu'à neuf kilomètres d'ici). L'eau coule à flot, de l'eau fraiche sur nos petons surchauffés, comprimés. Le bien-être ! Le délicieux moment de la journée est celui ou l'on retire chaussures et chaussettes.

Comparé aux autres moyens de locomotion, la marche à pied présente au moins cet avantage : celui de griller la politesse aux files de véhicules des postes-frontières. C'est la deuxième fois que je franchis une frontière à pied — la première était celle entre l'Inde et le Bangladesh. J'y trouve cette fois encore un quelque chose de décalé. Franchir une frontière à pied à la saveur de l'insolite, le piquant de l'inadapté.
Au village de Vatahori, cette femme avec laquelle converse Sabina en roumain: Macédonienne de naissance, envoyée avec sa famille à l'âge de trois ans en Albanie, partie ensuite etudiée en Pologne pour travailler en Roumanie, et enfin revenir dans son village natal. Elle parle cinq ou six langues. L'Europe de l'Est est à son image, multilingue et déracinee, éclatée aux quatre coins du continent, mais aussi au Canada, aux USA, en Australie, etc. Pas une famille qui n'ait un cousin, un frère, un oncle a l'étranger. Conflits, dictatures, pauvreté ont jeté l'existence de ces hommes et de ces femmes comme pailles au vent.