Au bon air d'un Miteux
Jérôme Bergami, 15 Mar, 2015
Et une bonne histoire qui recommence,
elle recommence toujours par un Miteux. C'est que l'hôtel miteux, il est pour moi, avec les ans, devenu comme un totem. C'est dans les chambres étroites du petit peuple que je reviens régulièrement invoquer mes dieux et poursuivre mes démons.
Hôtel Kırrıkale - et d'emblée ce résident aux yeux rouges qui sort de sa turne et m'embrasse comme du bon pain, bavouillant dans sa trombine, bafouillant dans tous ses mots... Ah, mon salaud, t'en tiens une bonne... allez, décroche-toi maintenant, j'suis vanné... Faut croire que je les attire, ce matin, à la gare, c'était un Kurde, encore de Dyarbakir, il ne me quittait plus, front contre front, et que je t'aime, et que merci la France... Òªa va, chuis crevé, j'vous dis, faut me laisser dormir, j'ai à me retrouver, les idées claires... Montre-nous notre chambre, taulier... Oh, le fumet !... Lavabo en miettes et louches serviettes... murs qui lèprent... bien déprimante, ta piaule... Eh bien, c'est ici qu'on va se refaire une santé... Oui, merci de reconduire notre bonhomme dans son coin, 'l'articule plus, trop cuit... Tiens, et celui-là, qui c'est ?... Monsıeur Billard ?... Il joue les murs en trois bandes, canne blanche... Attention! L'escalier!...
On ne s'ennuie jamais dans les hôtels petits prix.
Les distractions, elles tourbillonnent comme feuilles au vent. Quand c'est pas l'évier qui pète, c'est le lit qui s'écroule ; ou bien c'est le chauffe-eau de la douche qui rend l'âme... Regardez-moi ça, le W.C., tout furieux qu'il degorge... Vrai qu'on se marre dans un Miteux... La fenêtre, elle s'ouvre pas ; le balcon, c'est sans accès ; la porte, elle dégonde... et tout le reste est à l'avenant. Y'a pas jusqu'à la tronche des locataires sans quelque chose qui va de travers. Mais nous maintenant on ferme les yeux, on glisse dans nos sacs. On respire. La Route de la Soie, on s'y retrouve dessus et on ne veut pas des peurs. Elles sont là, elles nous épient, on les sent peser derrières nos paupières. Pourtant rien de nouveau... et pourtant tout de nouveau. Notre hôtel, on voudrait y rester, bien au douillet dans les effluves et les gazouillis de tuyauteries. On connaît, ça. C'est sans risque. Sans ampoule ni courbature. Sans aventure... Allons, soyons sérieux, le Kırrıkale peut pas durer. Ä°l est bon parce qu'éphémère - comme nos peurs, des bulles qui finissent par crever dans l'air.
Faut juste savoir recommencer l'histoire par la manière.