Entre prince et mendiant
Jérôme Bergami, 10 Aug, 2014
Assumer son identité de marcheur est chose ardue parfois, particulièrement dans les villes. Le marcheur est d'abord homme de campagne, de sentier vicinal. La ville lui est un univers hostile, d'autant plus s'il refuse ou ne peut se permettre de se payer l'hôtel. En ville, les gens ont facilité à vous toiser et dans leur esprit on devine que la barrière est mince qui fait passer du marcheur a l'errant, au vagabond.
Vagabonde, telle est la représentation que Sabina a d'elle quand, éreintée, il lui faut encore chercher un endroit, "digne" dit-elle, où planter notre tente dans l'enceinte de la cite. « Déjà que l'image des Roumains à l'étranger n'est pas bonne, si en plus je dois assumer mon tee-shirt trempé, mon bâton de marche, ma fatigue - mon errance! »
Pourtant, lui réplique-je, le statut de marcheur à ceci d'exceptionnel qu'il transcende les classes sociales, les barrières, les divisions. Le fait d'être de passage et dans un rythme singulier, le fait aussi d'être comme extrait de la norme, confèrent au marcheur cette aura unique qui relie secrètement les princes et les mendiants. Tenant à la fois des deux, le marcheur - mais je pourrais dire le pèlerin car à mes yeux il y a de la foi en tout être qui chemine - peut tout aussi naturellement côtoyer l'indigent et la reine d'Angleterre, et se voir reçu par eux avec un égal enthousiasme, un semblable intérêt.
Un autre élément, et non des moindres, permettant d'afficher sans complexe son identité est la confiance que l'on s'accorde à soi dans l'action que l'on mène. Ne pas perdre de vue le sens de cette action pour ne pas se perdre soi-même. Car ne sera reconnu comme digne que celui qui portera avec lui sa dignité ; comme grande que l'action qui bâtira sa propre grandeur.
Souffrir du regard des autres, et des idées qu'on lui associe, c'est en réalité souffrir de l'image que l'on a de soi. Ils nous toisent, dit-on, mais nous les premiers, sans répit, ne nous toisons-nous pas?