V ou la disparition
Jérôme Bergami, 23 Oct, 2014
Il y a un moment où le Voyage perd ses ailes.
Ce V majestueux qui seyait si bien à son évocation tombe, non pas qu'il lui soit devenu trop pesant mais il semble que le voyage, parvenu à un certain point de son mûrissement, puisse aller absolument librement, délivré de toute pompe, nu, sans plus aucun ornement superflu.
Ses ailes de géant aidaient à le porter, leur majesté était ce trait de distinction apposé à toute chose que l'on estime émanée des nues.
Voyage... et puis : voyage. Et le mot lui-même finit par disparaître. Ni larme ni deuil en sa mémoire. Cette disparition-là se fête car elle signifie réalisation. Ayant atteint un degré tel de maturité, le voyage trouve sa voie juste, et la trouvant il n'a plus lieu de se dire, de vouloir s'extraire. Sa distinction en faisait un objet d'admiration, une lumière à laquelle se chauffer. Sa réalisation, qui est une dilution lente et paisible, en fait un état. Désormais, il est. Il y a un moment où le voyage se dilue dans la Vie, et là aussi la solennité quelque peu factice s'efface d'elle-même. La Vie, pleine du voyage qui s'est accompli, préfère s'écrire : la vie.
Ni larme ni deuil, mais une figure sereine sous un azur d'automne: je ne suis plus en voyage, je suis dans ma vie.